mardi 23 juillet 2013

Chapitre XXIV : Ohé, capitaine abandonné.


A bord de la Joyeuse Lulu, il n'y avait qu'un seul maître à bord : Tsing Tao, le capitaine sentant bon le surimi chaud et le tabac froid.
L'homme, de descendance trégorroise avait été frappé par la malédiction du marin tropézien : il était toujours habillé de blanc. Malheureusement, là où cette couleur de vêtements s'accorde parfaitement avec la coke, ses habits, tâchés comme un drap de collégien, s'accordaient surtout avec son haleine douteuse. Une palette de couleurs défiant les lois de l'unicité et je n'évoque même pas ses dessous tout aussi douteux.
Tsing Tao avait beau être l'antéchrist des VRP en lessive, l'homme était plutôt sympathique pour notre bon vieux Jack, mais ce fut cet homme qui perdit Jack - mais avec notre recul, n'est-ce pas plus mal ?

Un matin, alors que les côtes américaines se découvraient et que l'odeur de marée se faisait de plus en plus forte sur la Joyeuse Lulu, la radio se mit à grésiller.
Après 27 jours, d'inactivité radiophonique et d'utilisation en tant que réchauffe-café, les grésillements étaient aussi inaudibles qu'une chanson de Mickael Miro. Tsing Tao encore, et toujours, un peu bourré y mit vite fin en balançant l'objet de bakélite à l'autre bout de la cabine. Ce genre de pratiques de la part du vieux loulou de mer ne choquait plus personnes sur le rafiot après tant de jours en sa compagnie.
Mais, comme si le dieu du son désagréable avait voulu se venger, un haut-parleur lointain se mit à cracher.
"Ici, les gardes-côtes de l'état de Californie, veuillez couper votre moteur et vous préparer à l'accostage pour une visite de contrôle."

Dick Ravencroft était garde-côte depuis plus de quinze ans. Il avait vu beaucoup de choses dans sa carrière, et pas forcément des plus jolies, mais son contrôle de routine sur la Joyeuse Lulu fut un feu d'artifice dans sa vie professionnelle : 9 familles de clandestins, 12 caisses d'armes soviétiques, 2 kg de magazines porno, un feu arrière cassé, 4 CD de Céline Dion, un mécano recherché pour crimes de guerre, deux paquets de frites au LSD, Des souris savantes, un capitaine bourré violant une trentaine de règles d'hygiène à lui tout seul et un citoyen américain tentant de rentrer illégalement sur son propre territoire...

Tsing Tao en homme intelligent commença à s'avancer vers l'agent Ravencroft pour négocier les bidons - c'est-à-dire pour fermer les yeux sur quelques produits en échange d'autre - mais il glissa sur une malencontreuse bouteille vide de son whisky préféré.
Pris par surprise, les coups de feux retentirent vite. Tsing Tao recula par soubresaut tel un pantin désarticulé alors que des gerbes de sang éclataient de son dos.
Les forces de l'ordre cessèrent vite le feu, mais avant qu'ils aient pu réaliser leur erreur, le vieux marin gisait à demi-enfoncé dans la cave à mazout; son corps ruisselant de sang sombre, un dernier rictus se tenait à la commissures de ses lèvres empourprées.

La suite ne se fit pas attendre : Jack se retrouva la tête coincée entre le pont et une grosse Rangers taille 45 pour se faire passer les menottes. Il y eut un semblant de procès, Jack se rappelle que même ayant la confirmation de son identité, la justice n'aime pas que l'on rentre, même dans son propre pays, sans montrer de papiers. Il apprit aussi que le "mort ou disparu au combat" de la gente militaire peut vite se transformer en "désertion", surtout quand on est au fond du trou.
Voilà ainsi notre humble héros rejoignant sa nouvelle cellule au sein de l'établissement de San Pedro de la Muerte Porfavor. Une cellule d'une classe yougoslave où l'attendait son compagnon de cellule : El Bambo Chicano.

(A suivre)

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