jeudi 31 janvier 2013

Mille et une vies.


Pour Célinas J. de las Casas que l'on aime plus que la cocaïne, l'apéro et les coquines.

La nuit descend lentement sur Paris. Sous le ciel entre rubis et carmin, une horde de voitures traînent dans cette gorge de béton qu'est le périphérique. De longues files de quadrilatères lumineux s'engouffrant dans un vaste tunnel; en y entrant elles doivent sûrement abandonner tout espoir.
Au dessus de l'exode dioxydé, un bâtiment écrase le paysage avec lourdeur. Tout aussi laid, il ne tranche pas  vraiment avec le périph', mais sa monstrueuse masse de béton dégueulasse (pléonasme) renvoie la ville à un vulgaire assemblage de maisons de poupées en carton.
Telle une vilaine souillon de banlieue se préparant pour aller emballer en boîte, le stade s'habille de lumières.
A ses pieds, des milliers d'ombres quittent les dernières lueurs vespérales pour la lumière agressive et glacée des néons.
Dans la partie VIP, les costumes cintrés à fines rayures côtoient les maillots synthétiques aux couleurs criardes floqués inutilement. Debout verre à la main, affalé dans les canapés, les conversations vont bon train pendant que les plateaux défilent; une flûte par-ci, une canapé par-là, s'occuper la main tout en parlant en attendant d'en profiter. L'art de discuter tout en s'empiffrant négligemment; le funambulisme de l'échange sans avoir la bouche pleine pour ceux ayant un minimum d'éducation.

Une jeune fille vient de commencer sa soirée. Avant d'avoir à se coltiner les plateaux de champagne, son travail consiste à faire des aller-retours pour offrir de la part du comité et de toute l'équipe un charmant cadeau soigneusement emballé aux donateurs aisés; cadeau qui consistait généralement en une bouteille de vin. Bien que le vin en soit ne soit pas le dernier des jajas, cela lui rappelait les immondes paniers municipaux offerts aux petits vieux pour Noël. Ces paniers imitations osier remplis de plastique imitation paille et conserves 100% dégueulasses.
On traite les mécènes de la même manière que la pauvre petite vieille du dessous, c'est peut être ça la vraie égalité démocratique.

Personne ne fait attention à elle. Sa silhouette fluette se faufile discrètement entre les groupes; il doit bien avoir un ou deux DSK dans l'assemblée, mais même face à une jeune fille en robe il y a peu de regards appuyés. Même son léger accent méridional semble passer aussi inaperçu que sa frimousse et son grand sourire appuyé par ses profonds yeux sombres.
Au final, ils auraient pu embaucher la première caissière fadasse de proximité ayant un tant soit peu de prestance, qu'est-ce que cela aurait changé pour les VIP du canapé fin et du pétillant champenois ? Mais cela ne la dérangeait pas : le boulot était simple et bien payé et les collègues agréables, elles n'en demandait pas plus. Si elle avait voulu se faire salement mater, elle aurait postulé au Corcoran ou au Oz.

De toutes façons, ce soir tous les regards ne se tournaient que vers un homme : un grand joueur à l'accent barbare et  l'appendice nasale important était venu passer saluer tout ce beau monde. Tour à tour, on le félicite sur son autobiographie au titre aussi humble qu'Amélie Nothomb - qui, elle, a au moins le mérite de rédiger ce qu'elle publie. Elle ne l'avait pas lu mais son exigence culturelle et intellectuelle s'y opposait catégoriquement.
Il avait l'air aussi intelligent que sa quatrième de couverture... Ce n'était pas avec cela que elle trouverait un successeur à Del Dongo et Clélia.

Heureusement, la journée se finissait. Ses escarpins commencent à lui faire mal et elle peut entendre sa couette la réclamer désespérément, tel un huissier aux abois.
Le plus dur sera pour demain quand elle devra assurer une réception avec le grand patron de Père Dodu. Des hors d'œuvres au poulet, des plats à base de poulet, des idiots déguisés en poulets de carnaval, il y aura peut être même de véritables poulets partout...
L'horreur, la vraie, celle qui empêche de dormir et fait frissonner; un sentiment fort désagréable, à ne pas confondre avec tout autre chose qui empêche également de dormir et fait frissonner...
Les gallinacés étaient encore loin. Le long ronronnement du métro l'entraîne doucement vers son lit chaud et douillet. Sans plateau et cadeau à porter, sans commentaire sportif et surtout sans ignoble poulet.

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