Il avait toujours en tête l'image du meurtre de Paulo le pédalo, mais cette dernière se faisait mettre doucement à la porte de sa conscience à grands coups de savate par un mal de crâne agressif et conquérant.
Jack, médecin neurologue, en connaissait un rayon en mal de crâne : Vodka/whisky, lendemains vinassés ou bien le fameux mal de crâne d'after chez les hôteliers de nuit. Mais voilà, Jack avait beau être un spécialiste des maladies dues au réveil, le mal de crâne par coup de matraque sur la partie pariétale était une première pour l'animal diplômé.
Le lieu n'était que faiblement éclairé par des petites lampes dites "lounge" - à prononcer [la-inge] pour être à la mode ou vendeur chez Casa - mais Jack reconnu immédiatement l'endroit : le Bouddha Bar Mitzvah.
Un club pragois à la mode où l'entrée restrictive se fait suivant un système de médailles. Un audacieux système que Jack et Eric Hamster avaient conçu quand ils détenaient l'endroit, qui à l'époque s'appelait El Pilonos.
Pour entrer, il fallait absolument s'être vu décerner une médaille. Suivant la couleur, vous étiez placé à des lieux différents avec une qualité de champagne/serveuses affriolantes/musique également différentes. Il y avait la médaille Hô Chi Minh d'or, la Hô Chi Minh d'argent, celle de cuivre et enfin la grande médaille de la Cool Story. Celle-ci étant la dernière, je vous laisse imaginer la soirée à base de Pol Rémy servit par Georgette, ancienne goûteuse de gratin dauphinois radioactif, le tout avec Cœur de loup en fond musical.
Mais cette époque n'était plus et c'était Don Kibboutz qui tenait désormais la place.
Après plusieurs minutes d'attente et quelques pensées pour les filles qu'il avait vu se trémousser sur cette même barre des années auparavant, une porte claqua en un son métallique au fond de la boutique. Des ombres difformes se faufilaient entre les tabourets velours à l'allure propre et les rideaux de lin et de tulle chamarrés.
Entouré par deux, trois molosses, Don Kibboutz se dirigeait vers Jack. C'était un homme au sens vestimentaire et olfactif très affirmé qui vaut le détour, ne serait-ce que pour l'éviter.
- Boris, apporte donc un rafraîchissement à notre ami.
Boris et son physique de chaudronnier Est-allemand surmonté d'un regard acier évoquant toute la poésie urbaine de Friedrichsfelde, apporta une gouleyante bouteille de Super Bock.
Jack aurait aimé gagner du temps et évaluer la situation qui, pour le moment, ne semblait pas en sa faveur, mais fidèle à des années d'études et de pratique, notre Siegfried de la chopine vida la 33cl en trois secondes.
- Alors, ça va mieux ? Tu te sens comment mon vieux, parce que laisse-moi te dire qu'il va falloir augmenter un peu de niveau ? Tu sais un peu quand ton gâteau au chocolat ne cuit pas parce que tu n'as pas mis le bon thermostat.
Jack ne répondit rien, non pas par manque de médailles mais parce que le gaz de la Super Bock remontait de son estomac vers l'extérieur.
Comme tu sais, je suis un entrepreneur. je conduis mes affaires pour le bien de la société et pour mon bien être personnel. Tu serais venu me voir avant, la situation aurait pu être complètement différente. Enfin, comme on dit : quand la tatin est retournée, il faut la manger. Je ne sais pas comment ça va se passer mais je t'emmène voir M. Krasucki. Ça ne sera pas des plus agréables mais au moins tu vas finir par le voir ton Krazu. Salade bien nettoyée et égouttée est mère de sûreté. Alors, on dit pas merci ?
Jack laissa échapper encore une fois quelques bulles de gaz carbonique et avec sa respiration quelque peu saccadée, il dit en regardant Donald Kibboutz :
- Je pourrais ravoir une bière, garçon ?
Une belle conversation amicale qui se finit comme il se doit par un grand coup de taloche dans la maxillaire gauche.
Un sommeil immédiat pour Jack, qui adorait dormir et cocooner, mais cela annonçait également la remilitarisation du mal de crâne et donc une future blitzkrieg neuronale au réveil.
Jack n'en avait aucunement conscience puisque dans les pommes mais dans un coin de son cerveau médical, une ou deux synapses se demandaient où il allait encore bien atterrir et surtout si Don Kibbouttz allait continuer ses métaphores culinaires.
(A suivre)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire