mercredi 15 juin 2022

XIXe

 



Aujourd'hui, c'est la fête de la musique. Ce jour d'été où le démon musical en chacun peut s'exprimer. Il était 15h, les scènes se montaient, les voisins déjà fatigués partaient à la campagne et les courses des apéro-picnic s'accumulaient aux caisses des Franprix. 

Anant était chaud comme la place de fêtes, d'ailleurs il y était. Il avait son groupe de rock - les Electro-Cutes - mais aujourd'hui, la folie de la scène était pour accompagner le groupe de musique traditionnelle de son père. Avec la période des examens et des apéros, ils n'avaient pas pu effectuer les démarches nécessaires avec ses potes. En même temps, quand on joue du rock, du vrai, ce n'est pas pour se soucier de la paperasse de fonctionnaires.

Il aurait voulu que Loretta soit là. Qu'elle puisse voir l'énergie qu'il pouvait dégager sur scène alors qu'au lycée il la gardait  au fond de lui comme on garde un trésor. Après avoir posé l'ensemble des micro, il regarda la place vide. Bientôt, un public se tiendra devant l'obélisque chelou. Il avait toujours pensé que ce grand cousin moderne et persistant du sapin de Noël était un jour tombé là par hasard à la manière des oeuvres qui jalonnent solitairement les autoroutes. 

Mais cette foule n'était qu'une masse mouvante dans sa vision. Il savait qu'au centre il y aurait Loretta. Toute la bande des terminales L du bahut sera là. Cette pensée l'emplissait de joie mais, sous cette pellicule de bonheur qui l'enveloppait, il pouvait sentir ce petit pincement qu'il ne savait réprimer. Tout le monde aller passer un bon moment, il allait bien jouer. En soi, ce concert ne lui posait pas de problème. Mais il aurait voulu qu'elle le voit à la guitare avec ses potes des Cutes à jouer la musique qui le faisait vibrer. Il aurait été les trois guitares de Lynyrd sur Free Bird à lui tout seul, il aurait eu ce ce côté électrique et sensuel de Jimi Hendrix, il aurait même pu avoir cette sensualité estivale poisseuse du meilleur des Stones.
Cela aurait été grandiose, le meilleur concert de sa vie. Malheureusement, ce soir, il allait jouer avec le groupe de son père.

L'ensemble de son père faisait dans le dhrupad. La mairie avait voulu changer un peu des lycéens basse grasse, guitare mal accordée et batterie de bourrin. Cela allait créer une certaine ambiance sur cette place où il y avait déjà deux, trois punk à chien assis avec des caissons de bière.
Il aimait cette musique traditionnelle. Il la comprenait en son être et il a été élevé avec mais pour emballer ce n'est peut être pas le top; bien que toutes les musiques sont possibles pour cela, cela dépend des personnes. Son père tenait à faire partager ce style musical avec des sonorités que le public pouvait connaître (ce qui revenait pour beaucoup aux Beatles ou Georges Harrison).

Il s'était même rêvé lui faire un concert à la Bollywood, cela lui aurait surement plu. Un bollywood moderne comme cette scène que sa soeur adore, et qu'il aime aussi contrairement à sa volonté de ne pas aimer les goûts de sa soeur.

Tout était quasiment installé. Il allait avoir le temps de se reposer un peu. Le soleil commençait à descendre sans perdre de sa force. Alors qu'il regardait une dernière fois la place vide, il vit une silhouette s'approcher de la scène. L'ayant reconnu, il descendit la retrouver.

- Loretta, qu'est-ce que tu fais là ?
- Excuse-moi Anant, je ne voulais pas te déranger.
- T'inquiète, tu ne me déranges pas, en plus j'ai finis de tout installer.
- Euh, en fait, je suis venue pour te dire que je ne pourrai pas être là ce soir

Le petit pincement au coeur était désormais un maelstrom de désillusion., mais il se contenait et elle ne lui laissa pas le temps de répondre.

- Je dois rester surveiller ma soeur. C'est tombé à la dernière minute.
- Non, je comprends, ne t'en fais pas.
- J'ai préféré venir te le dire pour que tu ne penses pas que je t'ai lâché. Et... pour te dire que j'aurai aimé être là. Je sais que ça ne sera pas pareil mais mardi soir, ça te dit de venir voir un film, pour m'excuser ?
- Euh, oui, bien sûr... avec plaisir.

Loretta sourit avec un petit bond d'excitation. Elle l'embrassa du bout des lèvres en un éclair, l'espace d'une seconde, puis elle repartit en dansotant.
Anant garda en lui ce sourire qui suivit son baiser jusqu'au mardi. Le concert ne fut qu'une rêverie. Au-delà de la chaleur qu'il ressentit sur ses lèvres et l'adrénaline qui explosa dans ses veines, il ne retint que son visage illuminé par cette joie primordiale qui a effacé en un geste la forteresse de la timidité et le soleil d'été. 

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