dimanche 8 septembre 2024

XIIe


 

Ce soir là, il y avait encore quelques lampions qui pendouillaient dans un coin de la Nation. Le vent les ballotait par de lentes et douces saccades; pauvres balises maritimes malmenées par les flots. C'était un soir de semaine, cela n'a pas d'importance. Il n'y avait personne et de toutes façons, ce n'est pas le genre d'endroit où l'on traîne quoi qu'il en soit (même les manifestations ne voient que République).

René Clairavel titubait surement mais gentiment à la sortie de sa séance de ciné. C'était son petit truc du mardi, du jeudi et du vendredi soir. A dix-huit heures, il s'asseyait à une terrasse du boulevard Diderot, sans préférence aucune, et y restait jusqu'à la séance de 20h15. Après quoi, il se rendait à sa séance avec sa besace usée, alourdie par un passage préventif au rayon alcool de la moyenne surface locale. Il ne se posait pas le problème de prendre son billet éméché. Il s'en foutait, mais en plus il prenait son ticket d'entrée sur une machine, donc c'est beau dire. Impersonnelle et faîte pour que les tarés issus de trois générations incestueuses puissent s'en servir, même bourré il n'avait aucun problème à arriver à sa séance. Tout glissait de l'écran au fauteuil.

Le choix du film n'était pas non plus matière à longue réflexion. Il prenait son billet à la manière des jeunes couples qui ne veulent simplement qu'une obscure solitude pour eux-mêmes : le premier qui vient, voir sans trop de monde autour. Comme eux, René ne regardait le film que d'un oeil distrait. Aidé par ses verres, les sons s'entremêlaient en un grand spectacle  qui avait plus d'une mise au point d'orchestre qu'autre chose.

Ainsi à l'extinction des lumières, il ressentait à chaque fois avec délectation ce retour en la matrice maternelle. Un point de psychanalyste de boulevard (Suchet) - certes - mais il était évident que René y retrouvait un sentiment de paix et d'abandon, tout originel. Dans un placenta d'alcool, sa vie, ses peurs et ses espoirs se diluait avec sa conscience profonde. Il baignait dans une poche protectrice qui n'était constituée que de lui-même. Il voyait tous ces sentiments qui d'habitude le rongeaient chaque jour former un halo, une mandorle irradiante et impénétrable, autour de lui. Comme si plusieurs couches de lui se révélaient, chacune pour faire rempart aux autres.

Quelques mois auparavant, et après une poignées de rendez-vous médicaux, il avait testé la chimio; il a vite arrêté. S'injecter une solution mortifère dans un lieu fait de plastique froid, autant en prendre une autre selon ces convenances, c'était-il dit. Il se souvenait attendre longtemps pour qu'on lui perfore le pli du coude et ensuite attendre encore pour, au final, revenir chez lui souffrant de tout son être. Un jour, il a décidé d'arrêter et de profiter. Si toute finalité est de passer une bonne partie de la journée autour, dans ou sur les toilettes, autant s'empoisonner avec euphorie.

Son médecin n'a rien dit quand il lui a annoncé ne plus vouloir continuer la chimio. Il se demandait toujours si sa résignation avait été acquiescée par son praticien ou bien si ce dernier en avait juste assez assez de voir une société morbide obsédée par la sur médication et de voir que son expertise ne valait plus rien aux yeux du monde de l'individualité numérique. René Clairavel se posait ces questions grâce à cette empathie qui avait, jusque là, caractérisé sa vie Il n'avait jamais étés fan des traitements médicamenteux, et cela faisait déjà fort longtemps qu'il avait compris qu'internet était une back-room fatiguée un dimanche matin après une soirée scato si on voulait un temps soi-peu de vérité.

Après ses séances, il se couchait comme on tombe au combat. Face contre matelas, avec extinction immédiate des feux. S'en souviendra-t-il le lendemain matin? Pas plus que les jours, mais pour lui tous les jours étaient semblables. Il était heureux; heureux au réveil de pouvoir recommencer et pouvoir profiter d'une nouvelle journée selon ses termes. Il pouvait, comme il l'avait toujours rêvé, envoyer chier les jeunes précaires sous-payés rassemblant des promesses de dons à la sortie des métros, faire de même avec les médias qui voulaient prendre son temps et son énergie, il n'était plus rien; la maladie l'avait mis dans une catégorie intouchable et invisible de la société et désormais il ne devait plus rien à cette dernière.

Pour un peu, il pensait, quelques fois, à admirer le monde brûler façon Walhalla et emporter la fange au loin; tout comme le lycéen hormonal fantasme sur sa prof, cette pensée était une occupation passagère. Non, René Clairavel aimait le monde. S'il celui-ci n'était rien, il n'était pas plus. Il faisait partie d'un grand Tout en lequel certaines particules partent avant les autres, mais c'est bien la seule chose qui les différencie.

lundi 2 septembre 2024

Ma pauvre Rachel.


 

C'est la rentrée et le dormeur doit se réveiller, comme on dit chez Ducros. Et pour cela , rien de tel qu'un petit film un peu fermenté, voir faisandé, pour partir du bon pied.


La Momie 3, la tombe de l'empereur dragon (2008) vient clore une série de deux bons films d'aventure, dont le premier était un remake du classique de 1932 avec Boris Karloff.
Je vous laisse la bande-annonce ici (dont un ami plutôt porté par ce genre de films que sur du Jean Eustache m'a dit : "ça m'avait l'air déjà poussif à l'époque") pour que vous puissiez avoir un aperçu du bousin avant ce petit billet de bon aloi.

Est-ce que les acteurs jouent mal ? Disons le tout de suite, ce n'est pas une Masterclass de Daniel Day-lewis ou Joaquin Phoenix, mais ce n'est pas non plus celle d'Aure Atika ou Samuel le Bihan. En fait, le coeur du problème est qu'aucun personnage n'est bien écrit. Au-delà de la caricature, il n'y a aucun temps pour connaître/ développer/ s'attacher aux personnages.Ils ont même osé transformer le personnage un peu midinette joué par Rachel Weisz en une succube de chez Marc Dorcel. D'ailleurs, vu la profondeur des personnages (pas de jeu de mots), je me demande si les scénaristes ne viennent pas de ce milieu un peu olé olé.

Passons vite fait sur le scénario qui est aussi excitant qu'une serpillère tiédasse étalée un soir d'été sur le bord de la baignoire avec vu sur le périph.
Deux scénaristes sont crédités (c'est-à-dire 4 lobes de cervelle normalement) pour nous ressortir un remake du 2e film de la franchise avec de gros morceaux du 1er. Quasiment les mêmes scènes (le musée suivi de la course en voiture, le voyage rigolo en avion), l'interchangeable side-kick aviateur un peu lourd , le sbire maléfique insignifiant accompagnée de sa sous-fifre bonasse, la grosse baston numérique pendant le combat final et j'en passe..

On garde également les situations du genre "faisons vite sinon il/elle va mourir!" : dans le 2, nous avons le gamin en sursis pendant les 2/3 du film, et qui sera remplacé par sa mère à la fin. Dans cet opus, c'est papa Brendan (il ne restait plus grand monde sur la liste) qui se retrouve mourant au milieu du film. Un coup d'épée pernicieusement volante qui lui traverse le buffet à la place de celui de son fils. La tension est à son comble : le seul élément crédible du film commence à sentir le sapin.

Mais, sachez que le synonyme pour tension et suspens en langue Momie 3 est : paillasson. A peine 5 minutes plus tard, il est guéri avec toute l'émotion d'un pharmacien vendant une boîte de Doliprane 1000. Merci, au revoir Madame!

Si dans le 2, le fils avait un intérêt pour le développement de l'histoire et arrivait à ne pas être trop pénible (deux choses qu'Anakin dans l'épisode 1 n'avait pas coché), dans La tombe de machin dragon il est l'inutilité même. C'est un McGuffin, point barre. Le rôle est tellement vide que Dave Bautista ferait des merveilles. On ébauche l'image d'un jeune pur sang burné pour donner une histoire d'amour invisible et des répliques qui sonnent aussi juste que le film Predator doublé par Darry Cowl; et cette mèche à la Bo Craddock, pourquoi? 

Ensuite, on a le sbire (Anthony Wong surement perdu) traînant ses guêtres pour pas grand chose. Quasiment deux scènes au total et il crève comme la dernière des merdes. Là encore, aucune tension, aucun attachement. On dirait que même le décor ne ressent aucune émotion.
Sa seconde en chef, pourtant plutôt mise en évidence au début, n'apparaît dans une scène de plus de 10 secondes que pour mourir également à la manière d'un reste de bière dans une poubelle de Rock en Seine sous le soleil de 17h.


Parlons-en de ce stéréotype d'adjointe fatale du mal. Dans le 2, on avait une histoire, construite sur la rivalité entre elle et l'héroïne; ce qui relançait un peu l'intérêt du film plutôt que de juste nous ressortir la momie qu'il faut remettre au tombeau avec les mêmes persos. Ici, il n'y a rien. Juste rien. Personne ne sait qu'elle est là, personne ne l'appelle, personne ne la pleure. On ne connait même pas son nom, son rôle est bien aussi inutile que donner des noms aux chibres dans un glory-hole.

Et ce n'est pas isolé. En antagoniste, nous avons Jet Li. Son personnage (dont l'intro fait presque 1/5 du film) est un vilain qui contrôle les éléments et veut devenir immortel pour asservir le monde. OK, on a vu pire.
Le gars avec ses pouvoirs cosmiques phénoménaux ("dans un vrai mouchoir de poche") arrive à littéralement deux mètres de son but final et, tout d'un coup, un mec arrive au bout de la salle derrière lui et gueule : "bats-toi comme un homme!".  Et il le fait...
Bon, on devine qu'à la fin le bien l'emporte mais La Momie 3 sait surprendre! le combat dure 1 minute chrono. Avant de crever, toujours comme une 8.6 éventée dans un squat de Belleville, on assiste à un combat toujours sans tension, ni de mouvement impressionnant. Extrait pour votre culture : ici.

Et on en vient à l'autre problème : la réalisation.

On te vend de l'action et un peu de Wu xia pian avec Jet Li et Michelle Yeoh. Et puis, La momie 1 et 2, c'était de l'action plutôt simple mais bien travaillée.
One voit absolument rien. Les combats sont brouillons à tel point qu'ils en deviennent inutiles, en plus d'être moches.
Ca bouge dans tous les sens et le montage coupe toute chorégraphie. Mais je pense surtout qu'en fait il n'y a pas de chorégraphe et donc rien à filmer. En tout cas, pas plus que dans un téléfilm Hollywood Night.
En effet, on n'a pas beaucoup de combat donc ça sent le peinturlurage bon marché. Et dans le genre je bouge la caméra dans tous les sens pour masquer la pauvreté de la production, il suffit de voir les scènes d'action en voiture ou avion : rien ne bouge vraiment sauf la caméra qui a la gigitte façon delirium tremens.

Si l'on veut rester sur le sujet de la pauvreté, niveau humour, on en est aux glaçons sur les couilles et aux yacks qui vomissent. Je n'irais pas plus loin.

Les effets spéciaux ne sont pas de la première fraicheur; sans être horribles, ils font quand même moins bien que le premier sortit 10 ans auparavant (pour un budget de 80M$  - 98M pour le 2e - contre 145M pour le 3....). Où est passé l'argent, salauds!

La scène du musée est plutôt laide avec son cortège de chevaux maléfiques etc, mais heureusement arrivent après cela les yétis!
Les yétis mal fait ? Pas vraiment; si techniquement ça passe, leur design est tout autre. Les yétis sont donc des clones poilus de The Rock croisé avec le chat Catsan avec pour modèle les yétis de Tomb Raider II. Ainsi, ils n'ont pas vraiment une gueule de porte bonheur mais surtout, ils fuient face aux ultrasons; car oui, Jet Li maîtrise les éléments mais le feu coûte cher donc, contre les yétis, il beugle en mode Farinelli et hop, retour chez Lio pour les yétis (ou dans celui-là pour les plus classieux).

A la fin, on a le droit à l'armée d'Anubis du 2 versus les morts de Dunharrow. Ce n'est pas encore trop moche mais qu'est-ce qu'on s'en fout! Le scénario et le réalistaur également, rassurez-vous.
A propos d'armée des morts, les deux dialoguistes pillent resucent sans finesse les gags d'Evil Dead 3.

Voilà.
Ce film est donc un film dont on ne retient rien car il est tel le vent venant du large : on ne sait pas d'où il vient, on ne sait pas où il va et il sent un peu la marée.
Au moins, ça va vite et on peut retenir un décor de rue de Shanghai plutôt jolie et un beau plan de la chaîne Himalayenne.