jeudi 18 août 2022

1950

    



 Cependant, à mesure que s'imposait davantage à mon souvenir l'image de ce qui avait été pour moi la Beauté, l'ombre se voyait rejetée en arrière, comme un fond sur lequel pût à loisir se dessiner mon mirage. La noire silhouette dissimulait tout entier dans ses formes ce qui pur moi était le Beau. Grâce aux puissances du souvenir, de fines parcelles de Beauté se mirent à jaillir, à scintiller dans l'ombre, une seule d'abord, puis une autre ; et puis il y en eut partout. Finalement, dans l'éclairage de cette heure étrange dont on ne sait si elle est jour ou nuit, le Pavillon d'Or, par degrés, se précisa jusqu'à se découper, étonnamment net, dans le champ de mon regard. Jamais comme à cet instant sa fine silhouette ne m'était apparue si parfaite, si lumineuse jusqu'en ses moindres replis. C'était comme si j'avais acquis le sens aigu des aveugles. La lumière émanée de lui donnait au Pavillon d'Or de la transparence ; à ce point que, même de loin, je distinguais les anges musiciens peints sur le plafond du Chôondo, ou les restes de vieille dorure sur les murs du Kukyôchô. L'élégante façade formait avec l'intérieur un tout harmonieux et indissoluble. 

Mishima Yukio; Le pavillon d'or (Kinkakuji); Gallimard collection folio, 1981 : p.364-365

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