mardi 28 juin 2022

Voir son réveil et mourir


Salut le jeune! Connais-tu ce syndrome de la journée de merde ?

Tu n'entends pas ton réveil pour commencer. Sa maudite sonnerie ne t'a pas vrillé les tympans pour une fois. Pourtant, tu l'avais changé en passant de Câlins matinal pour Bienvenue dans le stress.

Tu es à la bourre, plus que d'habitude. Tu n'as pas le temps de penser à  prendre une douche, ni de te passer un coup de brosse à dents. Tu es déjà moite et tu sens que cette journée va être olfactivement et hygiéniquement difficile. Mis ce n'est pas grave, tu assumes (en  même temps, as-tu vraiment le choix?).

Je vais passer sur les transports en commun car c'est toujours l'enfer quelle que soit la journée. Au moins, tu passe incognito avec ton boule qui respire encore ta journée de la veille.

Tu arrives au boulot, tu es déjà en sueur. Tout le monde te prends pour un crado, tu le sens (eux aussi cela dit). Certains pensent même que tu reviens d'une nuit de débauche arrosée ou bien d'un hôtel pas trop cher au sein duquel tu n'as pas trop dormi et où tous tes voisins de chambrée sur l'ensemble de l'établissement t'ont entendu t'amuser et t'ont maudit.

Ton partenaire (ou en tous cas, la personne que tu considère comme telle, chose qui n'est pas forcément réciproque) te laisse un message te disant qu'il part quelques jours en campagne pour "s'aérer". En plus, tu te rappelles que dernièrement il passe beaucoup de temps à la salle de sport et ne quitte pas son clavier de téléphone alors que tu lui montres à la TV un chef d'oeuvre du cinéma indépendant tchèque.

Ton boss te fait chier. Normal, c'est un chef. On te demande l'impossible et tu ne t'investis que pour avoir la paix et une possible prime maigrichonne à la fin de l'année. 

La journée est longue, en plus ton ex t'appelle durant ta pause déjeuner constitué d'un sandwich Sodebo insipide et d'une barquette de carottes rapées parce que tu te trouves un peu replet. Tu ne saais pas pourquoi cette personne t'appelle - elle non plus apparemment- mais tu n'as pas envie de partir pour un tour de "c'était bien, non" et "si on se revoyait un de ces jours". 

La journée passe lentement mais elle est passée. Retour dans les transports, tu es encore plus moite qu'avant. Tu regardes tes pieds pour ne pas croiser de regards.

Ton facteur t'as laissé des avis de passage que tu ne pourras aller chercher avant samedi prochain car comme tout le monde ton bureau de poste n'est jamais ouvert selon tes heures de bureau. Avec un peu de chance, il te faudra payer un droit de douane.

Le ciel s'éclaircit quand on te propose un verre entre collègues. Enfin, un peu de douceur dans cette journée de brute. Mais tout ceci n'est qu'un leurre.
Avec la fatigue, tes deux pintes te montent a la tête, tu rentres chez toi et il est déjà tard. Tu as la flemme de te faire à manger. Si tu commandes en livraison, tu sis que ça va mettre une heure pour arriver et tu te coucheras à pas d 'heure.

Ton frigo est vide. Il y a bien quelque chose dans le congélateur mais il fait déjà 30 degrés dans l'appart et tu ne gagneras pas de temps entre le pré-chauffage et la cuisson. Du coup, tu manges ta boite de thon avec la dernière tomate. 

Tu va enfin retrouver ton lit mais tu ne trouves pas le sommeil mais ton âme soeur de Tinder qui va s'aérer la tête, fait tourner la tienne. Dans ta tête, c'est La nuit sur le mont Chauve (NB : version Rimsky-Korsakov) dans un premier temps, tout de suite enchaîné avec L'antre du roi de la montagne.

Au final, tu ne sauras comment mais tu t'endormiras sans penser au lendemain. Ton esprit fatigué pourra enfin s'éloigner de sa journée effrénée teintée de douce mélancolie et se préparer pour demain. Si tu penses à ton réveil. 

jeudi 23 juin 2022

La flamme olympique de mucho bailar.

 





Il y a certaines choses qui seront éternellement immuables : la publicité qui te prend pour un con, les médecins en retard et les petites phrases toutes faîtes que tout le monde connaît mais qu'on entend tout de  même tout au long de sa vie.

Prenons une jeune personne romantique.... Non, pas un romantique Sturm und drang, ni le niaiseux  fan des violons au restau et des fleurs pakistanaises au dessert. Non disons plutôt une personne ouverte, sans préconception, et un peu fleur bleue.

Bref, cette personne croise sur le fleuve de la vie amoureuse avec son petit remorqueur depuis ses primes années. Lors de ses escales aux écluses, elle entendait toujours une sombre histoire que les vieux loups de rivière se transmettaient de génération en génération durant les veillées : la légende du "C'est pas toi, c'est moi."

Ces paroles aux résonnances infernales était le Kraken des gentilles amours marinières.

Cette phrase est une incantation nécromancienne lancée lorsque le vil sorcier veut juste un coup de bite mais qu'il n'assume pas.  C'est sûr que cette incantation est toujours plus policée qu'un "je n'attendais rien de plus que ce que l'on a partagé. Merci. Au fait, je claque la porte derrière moi ?". Chose que l'on aurait pu signaler à l'autre avant de copuler comme des Jackie et des Michel, cela dit en passant.

Bien sûr, chaque marin sait que les courants sont tus différents et que les aspirations de l'un ne se conjuguent pas toujours avec celles de l'autres. Ainsi, la phrase maléfique met l'accent sur cette connaissance de la vie trouvée au rayon soldes du Tout à 1 franc local. J'insiste sur le franc.

En fait, ce n'est pas la phrase en soi qui est abject, c'est la lâcheté qui peut se cacher derrière.

Le nécromancien est un sbire des forces du Malin. Ce sont les hérauts de Gog et Magog s'avançant fièrement en tête de leurs armées, tout oriflamme déployé. Ils mentent dès le début, ils laissent un flou s'installer pour mieux réciter leur mantra pernicieux.

Certaines versions de la légende évoquent même des démons farceurs qui préfèrent d'autres formules diaboliques telles que : "Ah désolé, j'ai oublié mon portable et comme je viens d'en changer, je ne connais pas encore mon numéro" ou encore le "oula, mais tu vas rater le dernier train




Parmi ses ambassadeurs du mal, la légende raconte qu'il y a pire que ces bancs de sable pour les humbles remorqueurs : il y a les naufrageurs. Ceux-ci t'attirent à la manière des sirènes pour une extase bien éphémère. Ils glissent des mots d'amour dans ton oreilles, ils te font croire que cet instant est magique, que Paris sera toujours Paris et que le miel de tes lèvres sera la cire étincelante sur l'écrin dénudé de leurs coeurs (ce qui en soi, ne veut rien dire). Une fois, que le jeune fleur bleu s'est tout abandonné insoucieusement, Le naufrageurs récite son terrible discours tout en plongeant sa dague dans le coeur encore fiévreux de sa victime, les yeux dans les yeux.

Combien de fiers marins n'ont pu échapper à ces saturnales de l'amour sans s'arrêter pour un temps de naviguer afin de dompter cette peur ? 
Certains vieillards, lorsque les braisent agonisent et que l'alcool pose son voile réconfortant sur les esprits, évoquent des esprits malins qui ont su reprendre un peu d'humanité en annonçant leurs noires desseins avant d'entrer en contact avec aucune muqueuse de son partenaire que ce soit.

Sur des fleuves dont ils n'existent aucune carte, les dangers sont nombreux pour les capitaines aux petites embarcations ronronnantes. Des flibustiers aux forces du mal, en passant les longs bancs de sable nus, il y en aura bien un qui sera rencontré lors de la traversée. Il est certain que quoi qu'il se passe, nous arriverons tous à l'embouchure avec l'océan et qu'il faut bien gagné en expérience et agrémenter le voyage. Toutefois, si la croisière pouvait ressembler aux croisières pour vieux dans les fjords de Radio Classique featuring Eve Ruggeri, plutôt qu'à The Human Centipede, qui s'en plaindrait ?

mercredi 15 juin 2022

XIXe

 



Aujourd'hui, c'est la fête de la musique. Ce jour d'été où le démon musical en chacun peut s'exprimer. Il était 15h, les scènes se montaient, les voisins déjà fatigués partaient à la campagne et les courses des apéro-picnic s'accumulaient aux caisses des Franprix. 

Anant était chaud comme la place de fêtes, d'ailleurs il y était. Il avait son groupe de rock - les Electro-Cutes - mais aujourd'hui, la folie de la scène était pour accompagner le groupe de musique traditionnelle de son père. Avec la période des examens et des apéros, ils n'avaient pas pu effectuer les démarches nécessaires avec ses potes. En même temps, quand on joue du rock, du vrai, ce n'est pas pour se soucier de la paperasse de fonctionnaires.

Il aurait voulu que Loretta soit là. Qu'elle puisse voir l'énergie qu'il pouvait dégager sur scène alors qu'au lycée il la gardait  au fond de lui comme on garde un trésor. Après avoir posé l'ensemble des micro, il regarda la place vide. Bientôt, un public se tiendra devant l'obélisque chelou. Il avait toujours pensé que ce grand cousin moderne et persistant du sapin de Noël était un jour tombé là par hasard à la manière des oeuvres qui jalonnent solitairement les autoroutes. 

Mais cette foule n'était qu'une masse mouvante dans sa vision. Il savait qu'au centre il y aurait Loretta. Toute la bande des terminales L du bahut sera là. Cette pensée l'emplissait de joie mais, sous cette pellicule de bonheur qui l'enveloppait, il pouvait sentir ce petit pincement qu'il ne savait réprimer. Tout le monde aller passer un bon moment, il allait bien jouer. En soi, ce concert ne lui posait pas de problème. Mais il aurait voulu qu'elle le voit à la guitare avec ses potes des Cutes à jouer la musique qui le faisait vibrer. Il aurait été les trois guitares de Lynyrd sur Free Bird à lui tout seul, il aurait eu ce ce côté électrique et sensuel de Jimi Hendrix, il aurait même pu avoir cette sensualité estivale poisseuse du meilleur des Stones.
Cela aurait été grandiose, le meilleur concert de sa vie. Malheureusement, ce soir, il allait jouer avec le groupe de son père.

L'ensemble de son père faisait dans le dhrupad. La mairie avait voulu changer un peu des lycéens basse grasse, guitare mal accordée et batterie de bourrin. Cela allait créer une certaine ambiance sur cette place où il y avait déjà deux, trois punk à chien assis avec des caissons de bière.
Il aimait cette musique traditionnelle. Il la comprenait en son être et il a été élevé avec mais pour emballer ce n'est peut être pas le top; bien que toutes les musiques sont possibles pour cela, cela dépend des personnes. Son père tenait à faire partager ce style musical avec des sonorités que le public pouvait connaître (ce qui revenait pour beaucoup aux Beatles ou Georges Harrison).

Il s'était même rêvé lui faire un concert à la Bollywood, cela lui aurait surement plu. Un bollywood moderne comme cette scène que sa soeur adore, et qu'il aime aussi contrairement à sa volonté de ne pas aimer les goûts de sa soeur.

Tout était quasiment installé. Il allait avoir le temps de se reposer un peu. Le soleil commençait à descendre sans perdre de sa force. Alors qu'il regardait une dernière fois la place vide, il vit une silhouette s'approcher de la scène. L'ayant reconnu, il descendit la retrouver.

- Loretta, qu'est-ce que tu fais là ?
- Excuse-moi Anant, je ne voulais pas te déranger.
- T'inquiète, tu ne me déranges pas, en plus j'ai finis de tout installer.
- Euh, en fait, je suis venue pour te dire que je ne pourrai pas être là ce soir

Le petit pincement au coeur était désormais un maelstrom de désillusion., mais il se contenait et elle ne lui laissa pas le temps de répondre.

- Je dois rester surveiller ma soeur. C'est tombé à la dernière minute.
- Non, je comprends, ne t'en fais pas.
- J'ai préféré venir te le dire pour que tu ne penses pas que je t'ai lâché. Et... pour te dire que j'aurai aimé être là. Je sais que ça ne sera pas pareil mais mardi soir, ça te dit de venir voir un film, pour m'excuser ?
- Euh, oui, bien sûr... avec plaisir.

Loretta sourit avec un petit bond d'excitation. Elle l'embrassa du bout des lèvres en un éclair, l'espace d'une seconde, puis elle repartit en dansotant.
Anant garda en lui ce sourire qui suivit son baiser jusqu'au mardi. Le concert ne fut qu'une rêverie. Au-delà de la chaleur qu'il ressentit sur ses lèvres et l'adrénaline qui explosa dans ses veines, il ne retint que son visage illuminé par cette joie primordiale qui a effacé en un geste la forteresse de la timidité et le soleil d'été.