jeudi 18 août 2022

1950

    



 Cependant, à mesure que s'imposait davantage à mon souvenir l'image de ce qui avait été pour moi la Beauté, l'ombre se voyait rejetée en arrière, comme un fond sur lequel pût à loisir se dessiner mon mirage. La noire silhouette dissimulait tout entier dans ses formes ce qui pur moi était le Beau. Grâce aux puissances du souvenir, de fines parcelles de Beauté se mirent à jaillir, à scintiller dans l'ombre, une seule d'abord, puis une autre ; et puis il y en eut partout. Finalement, dans l'éclairage de cette heure étrange dont on ne sait si elle est jour ou nuit, le Pavillon d'Or, par degrés, se précisa jusqu'à se découper, étonnamment net, dans le champ de mon regard. Jamais comme à cet instant sa fine silhouette ne m'était apparue si parfaite, si lumineuse jusqu'en ses moindres replis. C'était comme si j'avais acquis le sens aigu des aveugles. La lumière émanée de lui donnait au Pavillon d'Or de la transparence ; à ce point que, même de loin, je distinguais les anges musiciens peints sur le plafond du Chôondo, ou les restes de vieille dorure sur les murs du Kukyôchô. L'élégante façade formait avec l'intérieur un tout harmonieux et indissoluble. 

Mishima Yukio; Le pavillon d'or (Kinkakuji); Gallimard collection folio, 1981 : p.364-365

dimanche 14 août 2022

La cigale et la marque pouce





Salut à toi, ami/e égaré/e sur les plages de l'internet worldwide. 
tu sais, il y a des mystères qui perdurent à travers les âges. Certains se résolvent avec le temps et la science, et d'autres se fondent dans l'oubli. Mais d'autres se révèlent être volontairement oubliés alors qu'ils resurgissent dans notre quotidien avec ténacité et - il faut le dire - désespoir.

Ainsi, sans que tu puisses t'en souvenir, tu t'es toujours demandé :

Pourquoi les vacances d'été durent-elles si longtemps ?

Le savoir est oublié mais les écoles sont construites sur d'anciens temples païens à l'histoire sanglante. Tous ce savoir interdit dort sous nos institutions. Sous le béton, des couloirs obscures aux murmures infâmes hibernent.
Toute l'année, les abysses cachées sous le hideux décor de l'Education Nationale se nourrissent des hormones et des émotions de notre jeunesse exaltée.

Imaginez un peu. Tous ces pensées en ébullition. Toutes ces émois tournées vers l'autre et le monde extérieur. Ces désirs de sentir l'autre avec et contre soi. Ces mêmes pensées contrariées par des sentiments à sens unique. Cette envie de s'envoler loin de sa ville natale, de se propulser vers l'avenir et bien sûr, cette angoisse face à cet avenir bien trop vaste.

Bref, un maelstrom d'émotions pures. Voilà de quoi se nourrissent les esprits qui, larvés dans les entrailles, attendent leurs retours. De septembre à juin, ils se gavent de tout ce que la jeunesse pourra leur donner. C'est en juillet - août que la limite est atteinte et les entités peuvent revenir à la surface si ils reçoivent encore leurs doses d'émotions. On vous a fait croire que l'école est fermée l'été à cause de la chaleur ou de la moisson, mais la vérité est ailleurs. La chaleur agit sur leurs êtres impies, c'est pourquoi les deux mois les plus chauds de l'année sont une menace pour le monde.

Voilà pourquoi, les jeunes, il ne faut jamais aller s'aventurer au-delà des grilles des écoles/lycées durant les vacances d'été.  Vous vous ferez dévorer et le mal se répandra sur la Terre. 
Non vraiment, reste chez toi, joue a la console et vas à la piscine municipale si tu veux ressentir de l'hormone.

jeudi 4 août 2022

Au loin

 



Chaque matin, lorsque Charles se réveillait, un monde nouveau s'ouvrait à lui. Sa chambre était lumineuse et calme, été comme hiver. De son lit, il pouvait voir le jardin en contrebas s'étendre à travers les feuillages.

A côté de lui, posé sur la table de nuit, un livre de facture ancienne. Il n'avait plus sa couverture souple ornée de couleurs délavées. Charles pouvait voir à sa reliure que le livre avait quelques décennies avec son ton bleu pastel, imitation tissage. L'auteur ne lui disait rien, le titre non plus d'ailleurs : La crique aux tortues par W. H. Parker.

Il s'imaginait déjà sur une île tropicale au bout du monde et des océans. Le jardin au-delà des vitres était fait d'herbes tondues, de buis et de frênes, Charles le savait : cette crique ne pouvait qu'être loin d'ici. Il pouvait sentir le soleil irradiant réchauffer sa peau légèrement plissée et rugueuse sans même fermer ses paupières. Abrité à l'orée de la mangrove, le son des vagues se répandant sur le rivage apaisait l'insidieuse moiteur à laquelle il n'était pas habitué. Il savait que par delà quelques pages et la crête au loin, il allait sentir le rhum et sa sucrosité ensoleillée au détour d'une taverne à la façade rongée par les embruns. Il voyait déjà le port fait de planches blanchies par le soleil, de baraques branlantes et sombre le long desquelles déambulaient des matelots aux allures équivoques.

Dès les premières pages, Charles se voyait en Thomas Bucket, le jeune mousse qui s'était vu offrir une place sur le Princess Virginia un soir d'automne.

Chaque jour, Charles retrouvait un monde d'aventures entre les pages légèrement jaunies par le temps. Il y avait des langues étranges, des animaux exotiques et des milliers de trésors enfouis plus ou moins maudits.

Plongé dans sa lecture, Charles ne le voyait pas mais Eve pleurait presque chaque jour à ses côtés.

Comme une routine, elle venait s'asseoir à côté du lit de quatorze heures à seize heures. Sans un mot, elle regardait Charles et pleurait. Malgré les mois et les saisons, ses larmes ne s'appauvrissaient pas. Elles tombaient comme les feuilles d'octobre.

Silencieusement, elle pleurait devant son père absorbé par sa lecture. L'homme qu'elle avait toujours admiré n'était plus que l'ombre de lui-même.

Les journées se répétaient à chaque réveil et il restait ainsi prisonnier de son monde. Depuis longtemps, la réalité n'était plus qu'un vague point lointain dans son regard. Elle était comme son marque page qu'il n'utilisait plus.

Chaque soir, quand Eve quittait l'hôpital pour rejoindre ses enfants qu'il n'avait jamais vu, Charles refermait, à quelques lignes près, son livre sur la description du phare de son île.

Chaque soir, il s'endormait en rêvant à cette lumière éclairant le néant depuis son petit bout de terre rocailleux. Bercé par les soupirs des vagues, son esprit fatigué s'affaissait peu à peu face au sommeil naissant sous l'hypnotisant flambeau qui chaque soir luisait pour lui.