lundi 19 septembre 2022

D12

 


Des années ont passé depuis ce départ et puis des années encore... J'ai écrit souvent à Detroit et puis ailleurs à toutes les adresses dont je me souvenais et où l'on pouvait la connaître, la suivre Molly. Jamais je n'ai reçu de réponse.
La Maison est fermée à présent. C'est tout ce que j'ai pu savoir. Bonne, admirable Molly, je veux si elle peut encore me lire, qu'elle sache bien que je n'ai pas changé pour elle, que je l'aime encore et toujours, à ma manière, qu'elle peut venir ici quand elle voudra partager mon pain et ma furtive destinée. Si elle n'est plus belle, eh bien tant pis! Nous nous arrangerons! J'ai gardé tant de beauté d'elle en moi et pour au moins vingt ans encore, le temps d'en finir.
Pour la quitter il m'a fallu certes bien de la folie et d'une sale et froide espèce. Tout de même, j'ai défendu mon âme jusqu'à présent et si la mort, demain, venait me prendre, je ne serais pas, j'en suis certain, jamais tout à fait aussi froid, vilain, aussi lourd que les autres, tant de gentillesse et de rêve Molly m'avait fait cadeau dans le cours de ces quelques mois d'Amérique
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Louis-Ferdinand Céline; Voyage au bout de la nuit

vendredi 16 septembre 2022

Incipit



(Premières lignes d'un projet de roman aujourd'hui arrêté.  D'ailleurs, ces lignes n'avaient pas été retenues sur la version la plus avancée de 67 pages) 

Le temps était clair, les jupes courtes et le café chaud. Come tous les jours de printemps, j'allais siroter des verres en terrasse après des heures de sommeil sur les strapontins en chêne armé de l'amphi.
D'interminables heures de droit fiscal, droit des sociétés, droit du commerce etc. Des milliers de chiffres t d'alinéas exposés au milieu de petits bourgeois aux culs et aux lèvres bien serrés.  J'avais beau m'habiller comme cette masse lointaine et impénétrable, mes vrais plaisirs restaient les bande-dessinées et les jeux vidéos de mon enfance.

Ce jour-là, je lisais Jean-Jacques Rousseau. Non pas pour la culture ou le style mais parce que j'avais appris que Noëline - ma voisine de cours de droit constit' - adorait les week-end à la campagne. Entre deux descriptions de fougères, j'appréciais mon café tout en jetant un coups d'oeil aux jeunes filles en fleurs.

Ce fut au milieu du Contrat social et de touristes américains qu'elle m'apparut.
Dans mon souvenir, c'était un vrai film pour adultes avertis : ses cheveux bruns et ondulés flottaient dans les volutes des pots d'échappements. Sa fine robe d'été suivaient le mouvement ondulant qui  partait de ses hanches et se terminait le long des se jambes graciles. Son sourire et son regard se tourna vers moi. Mais ils glissèrent sur mon espoir tel le postier qui laisse un avis de passage sans avoir sonné et elle traversa le boulevard avant de rentrer dans la fac. 

mardi 13 septembre 2022

Luit comme un ostensoir


 

Il y avait du monde ce soir là. L'invitation ne disait pas combien de personnes seraient là. Sur la carte, il y avait sobrement : "Vous êtes tous invités samedi xx à xxH00 à la salle xx. Cela fait longtemps que l'on ne s'est pas vus mais j'espère vous y retrouver. J'ai hâte de vous voir. Très affectueusement. Votre Marthe."

Dans la salle de réception privatisée, une petite musique se glissait entre tous les invités. Les fontaines à vin trônaient en podium sur le buffet du salon. Comme disait Marthe, c'était la sainte trinité ; blanc, rouge, rosé. Les différents buffets n'étaient pas en reste. Seule Marthe n'était pas encore là.

Marthe était la bonne âme de mon enfance. Comme avec tant d'autres enfants du quartier, elle m'avait appris la musique sur son piano, elle m'avait écouté, elle m'avait hébergé et nourri quand il l'a fallu. Elle fut cette présence bienveillante qui réchauffait le coeur et montrait comment lever les yeux vers l'avenir.

Il n'y avait pas d'adulte dans la salle. Nous avions tous entre trente et quarante ans. Je reconnus plusieurs camarades de l'école ou du quartier. Nous avions tous reçu le même carton d'invitation. Nous eûmes le temps de ressasser les souvenirs et, pour certains, de nous retrouver.

Alors qu'il n'y eut plus  de nouvel invité, un homme vînt vers nous depuis l'arrière salle, micro à la main. Il ne se présenta pas mais nous invita à nous regrouper vers lui alors qu'il découvrait un grand écran mobile. Silencieusement, il s'effaça alors que les lumières se turent et que l'écran s'illumina. Une vidéo se lança et Marthe apparût souriante alitée dans une chambre d'hôpital. Son sourire était toujours le même. Il me fit presque oublier le choc que me procura la vision de ce décor.

-Bonjour à tous. J'espère que vous profitez bien de la soirée. Je sais que vous m'attendez tous mais aujourd'hui cela ne sera pas possible pour moi d'être avec vous. Je ne sais quel jour ça sera exactement mais voilà, j'arrive au bout du chemin. C'est de la faute à personne, c'est comme ça. Il faut bien que tout s'arrête un jour. Si vous me voyiez, c'est que je suis déjà partie pour une autre lointaine aventure.

Le silence s'abattit comme le couteau sur l'agneau innocent.
Les coeurs se gonflèrent au plomb tandis que les larmes naissantes entraînaient les visages vers la terre le long de leurs courses. Aussi lourdes que leur chute fut, la vidéo reprit et le sourire de Marthe leva le front de tous.



- Ne vous en faîtes pas pour moi. Tout va bien et surtout tout ira bien. Il ne pourra pas en être autrement. Quoi qu'il advienne, tout se passera toujours bien, c'est ainsi que marche le monde et la vie. On avance toujours et encore. Mes enfants, j'ai toujours mis un pied devant l'autre et surtout, comme vous le savez, lorsque mon pas pouvait en aider d'autres. Aujourd'hui, je suis arrivée au bout de mon chemin. Il le faut bien.
Ne soyez pas triste pour moi, et soyez le encore moins pour vous. J'ai tout vécu et j'ai tout aimé. Je sais bien que ça ne sera pas facile au début mais vous vous élèverez tout de même au-dessus de ce petit nuage gris. Dans les autres moments qui viendront obscurcirent votre sentier, j'espère que vous penserez à moi pour vous apporter cette petite chaleur qui vous manquera. Je ne sais pas s'il existe un au-delà ou un je ne sais quoi, mais sachez que quoi qu'il arrive, je serais près de vous et veillerai sur vous comme je l'ai toujours fait. 
Je vous embrasse très fort. Je vous remercie pour toute la joie que vous m'avez apportée et n'oubliez pas que mon amour vous étreindra tout au long de votre marche. Je vous aime.

On répandit ses cendres dans la soirée avec sa musique préférée, sans pleur ni gémissement. La fine poussière s'éleva vers le ciel étoilé. Nous ressentions sa chaleur nous épauler en une dernière étreinte. Son sourire se fondit dans les astres paisiblement, nous laissant retrouver le son des grillons environnant.
Le ciel était clair et l'éther lumineux. S'ils n'étaient heureux, les coeurs étaient allégés.
Chaque année à cette même date, nous nous retrouverons.

(Image par Tim Sale (One and only!) - DC Comics)

dimanche 11 septembre 2022

Interlude



A l'ombre des salles de classes en fleurs. 

Mignonne, allons voir si la porte de sortie,
Pendant le bac ne sait pas endormie.
Dans la salle, toutes ces cartes bariolées
Illuminant tes yeux comme mille souvenirs d'été.
Tu ne peux entendre la mélodie qui berce mes oreilles
Mais tu as en récompense les sourires des autres élèves.

En te voyant travailler dans ce chatoyant palais
Mon transport s'enflamme et je me mets à rêver.
Mais arrêtons de songer, mignonne;
Soyons fous et unissons-nous !

Tous deux avec nos sacs de cours comme atours
Et ouvrons grand les portes de youporn et de l'amour!
Ensemble, faisons vibrer ces murs gris
Au rythme des intercours et des fortes sonneries.
Elevons-nous au-dessus de cette horrible prison.
Et voguons vers de nouveaux horizons, mon petit patapon !